LA COMMUNICATION PERVERSE : processus, conséquences et prévention
Le mot pervers choque, dérange. Pourtant, nous avons tous été témoins d’attaques perverses à un niveau ou à un autre, que ce soit dans le couple, dans les familles, dans les entreprises , ou bien dans la vie politique et sociale. C’est ce que l’on nomme plus communément le harcèlement moral.
La communication perverse, il s’agit en fait d’une entreprise de démolition psychique d’un individu par un autre. Il arrive même que l’acharnement se termine par un véritable meurtre psychique.
De petits actes pervers sont si quotidiens qu’ils paraissent la norme. Cela commence par un simple manque de respect, du mensonge ou de la manipulation. Nous ne trouvons cela insupportable que si nous sommes atteints directement. Puis, si le groupe social dans lequel ces conduites apparaissent ne réagit pas, cela se transforme progressivement en conduites perverses avérées qui ont des conséquences graves sur la santé psychologique des victimes. N’étant pas sûres d’être entendues, celles-ci se taisent et souffrent en silence.
La relation de harcèlement se met en place en deux phases : la séduction perverse et la violence manifeste
d’après Le harcèlement moral et Femmes sous emprise de Marie-France HIRIGOYEN (éditions Pocket)
LA SÉDUCTION PERVERSE
C’est ce que l’on pourrait nommer le « lavage de cerveau ». Cette phase se construit progressivement, pendant les premiers temps de la relation, et peut durer plusieurs années. C’est la phase de préparation au cours de laquelle la victime est déstabilisée et perd progressivement confiance en elle. Il s’agit d’abord de la séduire, puis de l’influencer pour, enfin, la mettre sous emprise, lui retirant en cela toute parcelle de liberté.
Le séducteur n’attaque jamais de front, il opère par surprise, en secret, de façon indirecte afin de capter le désir de l’autre. La séduction perverse se fait en utilisant les instincts protecteurs de l’autre. Cette séduction est narcissique : il s’agit de chercher dans l’autre l’image aimable de soi et de tenter de l’absorber en vidant l’autre de son identité.
Car la séduction narcissique rend confus, elle efface les limites de ce qui est soi et de ce qui est autre.
L’influence consiste, sans argumenter, à amener quelqu’un à penser, décider ou se conduire autrement qu’il ne l’aurait fait spontanément. On retire à la victime ses capacités de défense, on lui retire tout sens critique, éliminant toute possibilité de rébellion.
L’emprise se réalise dans une relation de domination. La victime est prise dans une toile d’araignée, tenue à disposition, ligotée psychologiquement, anesthésiée. Et qui plus est, celle-ci n’a pas conscience qu’il y a eu effraction. La domination s’est installée à son insu, par la séduction.
Il y a trois dimensions principales de l’emprise :
– une action d’appropriation par dépossession de l’autre ;
– une action de domination, où l’autre est maintenu dans un état de soumission et de dépendance ;
– une dimension d’empreinte, où l’on veut laisser une marque sur l’autre.
L’emprise comporte une indéniable composante destructrice en neutralisant le désir de l’autre. La victime est chosifiée. Dans la stratégie perverse, il ne faut pas d’abord détruire l’autre, mais le soumettre petit à petit et le garder à disposition.
Les victimes décrivent toutes une difficultés à se concentrer sur une activité lorsque leur persécuteur est à proximité. Celui-ci offre pourtant à l’observateur l’air de la parfaite innocence. Un grand décalage s’installe entre son confort apparent et le malaise et la souffrance des victimes. Ce dont elles se plaignent à ce stade c’est d’être étouffées, de n’avoir pas d’espace de pensée.
Elles obéissent d’abord pour faire plaisir à leur partenaire. Plus tard, elles obéiront parce qu’elles auront peur. Souvent la soumission est acceptée – au départ – comme un besoin de reconnaissance (surtout pour les enfants), elle paraît préférable à l’abandon. En donnant peu et en demandant beaucoup, le pervers installe un chantage implicite : « Si je me montre plus docile, il pourra enfin m’apprécier ou m’aimer. » Cette quête est sans fin car l’autre ne peut être comblé. Bien au contraire, cette quête d’amour et de reconnaissance déclenche la haine et le sarcasme du pervers narcissique.
Pendant cette phase, l’agresseur maintient une tension chez l’autre qui équivaut à un état de stress permanent.
Mais l’emprise n’est en général pas apparente pour des observateurs extérieurs. Même devant certaines évidences, ils sont aveuglés.. Le malaise de la victime amène celle-ci à des comportements qui agacent l’entourage qui, peu à peu, la juge négativement. C’est lors de cette phase que se met en place un processus d’isolement.
LE PROCESSUS
Ce processus emprunte un mode particulier de communication, fait d’attitudes paradoxales, de mensonges, de sarcasmes, de dérision et de mépris. C’est l’illusion d’une communication, non pas faite pour relier, mais pour éloigner et empêcher l’échange afin d’utiliser l’autre. Pour qu’il continue à ne rien comprendre au processus en cours et le rendre plus confus, il faut le manipuler verbalement.
Même non verbale, même cachée, étouffée, la violence transpire à travers les non-dits, les sous-entendus, les réticences, et, par là même, elle est vecteur d’angoisse.
1) Refuser la communication directe
Il n’y a jamais de communication directe car « on ne discute pas avec les choses ».
Quand une question est posée, les pervers éludent. On entre dans un monde dans lequel il y a peu de communication verbale, juste des remarques à petites touches déstabilisantes. Rien n’est nommé, tout est sous-entendu. Il suffit d’un haussement d’épaule, d’une moue, d’un soupir. La victime essaie de comprendre : « Qu’est-ce que je lui ai fait ? Qu’est-ce qu’il a à me reprocher ? » Comme rien n’est dit, tout peut être reproché.
S’il s’agissait d’un conflit ouvert, la discussion serait possible et une solution pourrait être trouvée. Mais dans le registre de la communication perverse, il faut surtout empêcher l’autre de penser, de comprendre, de réagir. Se soustraire au dialogue est une façon habile d’aggraver le conflit, tout en l’imputant à l’autre.
2) Déformer le langage
La voix du pervers est assez caractéristique. Une voix froide, blanche, plate, monocorde. Une voix sans tonalité affective qui laisse affleurer le mépris ou la dérision dans les propos les plus anodins. La tonalité seule implique des sous-entendus, des reproches non exprimés, des menaces voilées. Si les propos tenus ont un sens, la manière de les dire en a un autre, sous-jacent.
Un coup classique est celui de grommeler quelque chose quand l’autre est dans une autre pièce. Cela met l’autre dans l’obligation de se déplacer pour entendre ou bien d’être en position de demandeur en faisant répéter. Il est facile ensuite de faire remarquer qu’il n’écoute pas.
Le message du pervers est délibérément flou et imprécis, entretenant la confusion. En utilisant des allusions, il fait passer des messages sans se compromettre. Il peut dire : « Je n’ai jamais dit ça », et éviter tout reproche.
Offrant des propos sans lien logique, il entretient la coexistence de différents discours contradictoires. Il installe de la causalité là où il n’y a que corrélation, ou pas. Tout est dans la manière, comme dans un tour de passe-passe. Il s’agit bien là d’une manipulation qui consiste à produire un raisonnement structuré qui présente toutes les apparences du véridique et du rationnel, en s’appuyant sur jeu de rhétorique. En utilisant des mots de liaison (et, donc, par conséquent, ainsi, d’autant plus que, etc.) ou des effets de parallélisme (pendant que, après que…) on parvient assez facilement à induire des effets de causalité. A ce titre, la communication politique en est d’ailleurs un parfait exemple.
Le pervers peut aussi ne pas terminer ses phrases, laissant des points de suspension qui ouvrent la voie à toutes les interprétations et à tous les malentendus.
Un autre procédé verbal habituel des pervers est la nominalisation. Cela consiste à utiliser un langage technique, abstrait, dogmatique, pour entraîner l’autre dans des considérations auxquelles il ne comprend rien, et pour lesquelles il n’ose pas demander d’explications de peur de passer pour un imbécile. Le pervers peut le cas échéant emprunter (ou même attribuer) les dires d’un érudit. Et malheur à celui qui ne le connaît pas…!
Autre procédé, la lecture de pensée. Il consiste à nommer les intentions de l’autre ou à deviner – ou attribuer – ses pensées cachées, comme si on savait mieux que lui ce qu’il pense : « Je sais très bien que tu détestes les Untel et que tu cherches un moyen de ne pas les rencontrer ! »
Ce qui importe dans le discours du pervers, c’est la forme plutôt que le fond, l’important est de noyer le poisson. Les victimes disent souvent que les arguments de leurs agresseurs sont tellement incohérents qu’elles devraient en rire, mais tant de mauvaise foi les met en colère. Mais elles ne parviennent pas (ou plus) à déployer librement cette colère du fait de la stratégie de désamorçage du pervers et retournent leur colère vers elles-mêmes, aboutissant ainsi à une auto-culpabilisation.
3) Mentir
Plus souvent qu’un mensonge direct, le pervers utilise d’abord un assemblage de sous-entendus, de non-dits, destinés à créer un malentendu pour ensuite l’exploiter à son avantage. Le trouble induit chez la victime est la conséquence de la confusion permanente entre vérité et mensonge.
Dire sans dire, espérant que l’autre aura compris le message sans que les choses aient besoin d’être nommées.
Un autre type de mensonge indirect consiste à répondre de façon imprécise ou à côté, ou par une attaque qui fait diversion. « Pour dire quelque chose comme ça, il faut que ce soit toi qui aies quelque chose à te reprocher… »
Quoi que l’on dise, les pervers trouvent toujours un moyen d’avoir raison, ils ne peuvent pas ne pas avoir raison. Le mensonge correspond à un besoin d’ignorer ce qui va à l’encontre de leur intérêt narcissique, une chose insupportable pour eux, impensable, inenvisageable.
En conséquence, vérité ou mensonge, cela importe peu.
4) Manier le sarcasme, la dérision, le mépris
La dérision consiste à se moquer de tout et de tout le monde. La permanence de cette attitude fait tomber la méfiance – c’est une simple façon d’être – mais crée une atmosphère désagréable et place la communication sur un mode qui n’est jamais sincère.
Pour avoir la tête hors de l’eau, le pervers a besoin d’enfoncer l’autre. Pour cela, il procède par petites touches déstabilisantes, de préférence en public, à partir d’une chose anodine parfois intime décrite avec exagération, prenant parfois un allié dans l’assemblée.
Ce qui compte, c’est d’embarrasser l’autre. On perçoit l’hostilité, mais on n’est pas sûr qu’il ne s’agit pas d’une plaisanterie. Le pervers paraît taquiner, en réalité il attaque sur des points faibles : un «gros nez», des seins «plats», une difficulté à s’exprimer…
L’agression se fait à bas bruit, par allusions, par sous-entendus, sans que l’on puisse dire à quel moment elle a commencé et si s’en est vraiment une. Toutes les remarques désagréables constituent des blessures qui ne sont pas compensées par des marques de gentillesse. La peine qui en résulte est déviée par l’agresseur qui la tourne en dérision. Le partenaire victime de cette violence ne réagit pas parce qu’il a tendance à excuser l’autre, mais aussi parce que la violence s’installe de façon insidieuse. Une telle attitude violente survenant brusquement ne pourrait que provoquer la colère, mais sa mise en place progressive désamorce toute action. La victime ne repère l’agressivité du message que lorsqu’il est devenu presque une habitude.
Le discours du pervers narcissique trouve des auditeurs qu’il arrive à séduire et qui sont sensibles à l’humiliation subie par la victime. Il n’est pas rare que l’agresseur demande aux regards alentour de participer, bon gré, mal gré, à son entreprise de démolition.
En résumé, pour déstabiliser l’autre, le pervers :
– se moque de ses convictions, de ses choix politiques, de ses goûts,
– ne lui adresse plus la parole,
– le ridiculise, le dénigre en public,
– le prive de toute possibilité de s’expliquer,
– se gausse de ses points faibles,
– faire des allusions désobligeantes, sans jamais les expliciter,
– remet en doute ses capacités de jugement et de décision.
5) User du paradoxe
On nomme ce processus la double-contrainte : quelque chose est dit au niveau verbal et le contraire est exprimé au niveau non verbal. Le discours paradoxal est composé d’un message explicite et d’un sous-entendu, dont l’agresseur nie l’existence. C’est un moyen très efficace pour déstabiliser l’autre.
Quelque chose est dit qui est immédiatement disqualifié, mais la trace reste, sous forme de doute : « Est-ce qu’il a voulu dire cela, ou bien est-ce moi qui interprète tout de travers ? ». Si la victime essaie de nommer ses doutes, elle se fait traiter de paranoïaque qui interprète tout de travers.
Le paradoxe consiste également à faire ressentir à l’autre de la tension et de l’hostilité sans que rien ne soit exprimé à son égard. Ce sont des agressions indirectes où le pervers s’en prend à des objets. Il peut claquer des portes, jeter les objets, et nier ensuite l’agression.
Un discours paradoxal rend l’autre perplexe. N’étant pas sûr de ce qu’il ressent, il a tendance à caricaturer son attitude ou à se justifier. Le plus souvent, les partenaires des pervers, par esprit de conciliation, choisissent d’accepter le sens littéral de tout ce qui est dit, niant les signaux non verbaux contradictoires. A la différence d’un conflit normal, il n’y a pas de vrai combat avec un pervers narcissique, pas non plus de réconciliation possible.
La démentalisation dévalorise et disqualifie un individu mais diffuse également à tout l’entourage, qui ne sait plus qui a dit quoi ou qui a fait quoi. Au-delà de la personne visée, qu’il faut paralyser pour réduire au silence, c’est toute la famille ou l’entourage professionnel ou relationnel qui se trouve dans un état de grande confusion.Ce processus de la double contrainte a été repéré par les membres du groupe de recherche de Palo Alto, dans les années 60. Cette observation a notamment apporté un regard neuf dans l’étude de certaines pathologies d’ordre psychiatrique, particulièrement la schizophrénie. Certains « malades » ne seraient que les symptômes du dérèglement d’un système au sein d’un groupe développant une communication perverse.
6) Disqualifier
Il s’agit de retirer à quelqu’un toute qualité, de lui dire et de lui répéter qu’il ne vaut rien, jusqu’à l’amener à le penser.
Cela se fait d’abord de façon sous-jacente dans le registre de la communication non verbale : regards méprisants, soupirs excédés, sous-entendus, allusions déstabilisantes ou malveillantes, remarques désobligeantes, critiques indirectes dissimulées dans une plaisanterie, railleries.
Le pervers entraîne l’autre et lui impose sa vision falsifiée de la réalité.
A partir de cette phrase exprimée directement ou sous-entendue : «Tu es nul», la victime intègre cette donnée :
«Je suis nul», et devient réellement nulle.
Toutes ces stratégies sont destinées à enfoncer l’autre pour mieux se rehausser.
7) Diviser pour mieux régner
» Les idées dangereuses sont par leur nature des poisons
Qui d’abord dégoûtent à peine
Mais qui, pour peu qu’elles agissent sur le sang,
Brûlent comme des mines de soufre… «
Iago, Othello de Shakespeare Acte III sc. 3
Là où le pervers narcissique excelle, c’est dans l’art de monter les gens les uns contre les autres, de provoquer des rivalités, des jalousies.
La jouissance suprême pour un pervers est de faire accomplir la destruction d’un individu par un autre et d’assister à ce combat d’où les deux sortiront affaiblis, ce qui renforcera sa toute-puissance personnelle.
8) Imposer son pouvoir
Le discours du pervers est un discours totalisant qui énonce des propositions qui paraissent universellement vraies. Le pervers « sait », il a raison, et essaie d’entraîner l’autre sur son terrain en l’amenant à accepter son discours. Par exemple, au lieu de dire : « Je n’aime pas Untel ! », il dit : «Untel est un con. Tout le monde le sait, et toi, tu ne peux pas ne pas le penser !». En cela, les pervers narcissiques attirent des partenaires qui ne sont pas sûrs d’eux, qui tendent à penser que les autres savent mieux. Les pervers sont tout à fait rassurants pour des partenaires plus fragiles. Un processus de domination s’instaure : la victime se soumet, elle est subjuguée, contrôlée, déformée. Si elle se rebelle, on pointera son agressivité et sa malignité. L’autre n’a d’existence que dans la mesure où il se maintient dans la position de double qui lui est assignée.
La relation à l’autre se place dans le registre de la dépendance, dépendance qui est attribuée à la victime, mais que projette le pervers. A chaque fois que le pervers narcissique exprime consciemment des besoins de dépendance, il s’arrange pour qu’on ne puisse pas le satisfaire : soit la demande dépasse les capacités de l’autre et le pervers en profite pour pointer son impuissance, soit la demande est faite à un moment où l’on ne peut y répondre.
La violence perverse est à distinguer de l’abus de pouvoir direct, de la tyrannie, où l’oppression est apparente. Le but est simplement de dominer. Chez un pervers, la domination est sournoise et niée. La soumission de l’autre ne suffit pas, il faut s’approprier sa substance.
LA VIOLENCE MANIFESTE
Résister à l’emprise, c’est s’exposer à la haine. À ce stade, l’autre qui n’existait que comme un objet utile, devient un objet dangereux dont il faut se débarrasser par n’importe quel moyen. La stratégie perverse se dévoile au grand jour. L’entreprise de démolition devient systématique. C’est, en quelque sorte, « la solution finale ».
1) La haine est montrée
Au moment où la victime donne l’impression de lui échapper, l’agresseur éprouve un sentiment de panique et de fureur ; il se déchaîne.
Lorsque la victime exprime ce qu’elle ressent, il faut la faire taire. C’est une phase de haine à l’état pur, extrêmement violente, faite de coups bas et d’injures, de paroles qui rabaissent, humilient, tournent en dérision tout ce qui appartient en propre à l’autre. Cette armure de sarcasme protège le pervers de ce qu’il craint le plus : la communication.
Dans son souci d’obtenir un échange à tout prix, l’autre s’expose. Plus il s’expose, plus il est attaqué, et plus il souffre. Le spectacle de cette souffrance est insupportable au pervers, qui renforce ses agressions pour faire taire sa victime.
Par un phénomène de projection, la haine de l’agresseur est à la mesure de la haine qu’il imagine que sa victime lui porte. Cette haine, projetée sur l’autre, est pour le pervers narcissique un moyen de se protéger de troubles qui pourraient être plus grands, du registre de la psychose.
C’est aussi un moyen, lorsqu’il s’est engagé dans une nouvelle relation, de se défendre de toute haine inconsciente contre le nouveau partenaire.
Dans ce processus chacun a peur de l’autre : l’agresseur craint la toute-puissance qu’il imagine chez sa victime ; la victime craint la violence psychologique mais aussi physique de son agresseur.
2) La violence est agile
Il s’agit d’une violence froide, verbale, faite de dénigrements, de sous-entendus hostiles, de marques de condescendance et d’injures.L’effet destructeur vient de la répétition d’agressions apparemment anodines mais continuelles.
C’est une violence invisible en surface, une violence « propre », un cataclysme qui vient faire imploser les familles, les institutions ou les individus.
La violence est rarement physique car le pervers préfère tuer indirectement ou, plus exactement, amener l’autre à se tuer lui-même.
C’est également une violence asymétrique. Celui qui met en acte la violence se définit comme existentiellement supérieur à l’autre. Celui qui inflige la souffrance estime que l’autre la mérite et qu’il n’a pas le droit de se plaindre.
Si la victime réagit et tombe dans le piège de la provocation en haussant le ton, si elle cesse de se comporter en objet docile, c’est elle qui paraît agressive et l’agresseur se pose en victime : la culpabilité interrompt la réaction défensive.
Un processus circulaire se met en place : la vision de la personne haïe provoque chez le pervers une rage froide ; la vision de son persécuteur déclenche chez la victime un processus de peur. Ce processus, une fois enclenché, ne peut s’arrêter seul car le registre pathologique de chacun s’amplifie : le pervers devient de plus en plus humiliant et violent, la victime de plus en plus impuissante et meurtrie.
3) L’autre est acculé
Le pervers essaie de pousser sa victime à agir contre lui pour ensuite la dénoncer comme « mauvaise ». Pousser l’autre à la faute permet de la critiquer ou de la rabaisser, mais surtout cela lui donne une mauvaise image de lui-même et renforce ainsi sa culpabilité.
Lorsque la victime n’a pas assez de contrôle, il suffit d’en rajouter dans la provocation et le mépris pour obtenir une réaction qu’ensuite on pourra lui reprocher. Par exemple, si la réaction est la colère, on fait en sorte que ce comportement agressif soit repéré de tous, au point que même un spectateur extérieur puisse être amené à appeler la police. On voit même des pervers inciter l’autre au suicide : « Ma pauvre fille, tu n’as rien à attendre de la vie, je ne comprends pas que tu n’aies pas encore sauté par la fenêtre ! ». Il est ensuite facile pour l’agresseur de se présenter en victime d’un malade mental. Pour un observateur extérieur, toute action impulsive, surtout si elle est violente, est considérée comme pathologique. Celui qui réagit à la provocation apparaît comme responsable de la crise.
Coupable pour le pervers, il semble être l’agresseur pour les observateurs extérieurs.
La victime est prise dans une double entrave et, quoi qu’elle fasse, elle ne peut en sortir. Si elle réagit, elle est génératrice de conflit. Si elle ne réagit pas, elle laisse se répandre la destruction mortifère.
Afin de trouver une issue à cette situation impossible, la victime peut être tentée de fonctionner elle-même dans le non-dit et la manipulation. La relation devient alors équivoque : qui est l’agresseur, qui est l’agressé ?
Tous les pervers, qu’ils soient sexuels ou narcissiques, cherchent à entraîne l’autre dans leur registre puis à les amener à pervertir les règles. Le pervers n’a pas plus grande satisfaction que lorsqu’il entraîne sa cible à devenir destructrice à son tour, ou qu’il amène plusieurs individus à s’entre-tuer (comme Iago dans Othello).
LES CONSÉQUENCES DE LA PHASE D’EMPRISE (pour la victime)
1) Le désistement
Le désistement de la première phase permet de maintenir coûte que coûte la relation, au détriment de la personne même de la victime.. Il y a une sorte d’alliance tacite entre les deux protagonistes. Les victimes des pervers narcissiques, dans un mouvement altruiste illusoire, se résignent ainsi à se soumettre aux abus de l’autre. Tout en se plaignant des attitudes négatives du personnage, elles doivent continuer à en idéaliser d’autres aspects (il est très intelligent, très bon parent…).
2) La confusion
La confusion engendre le stress. Physiologiquement, le stress est maximum quand on est immobilisé et en proie à une grande incertitude. La difficulté qu’il y a à décrire le phénomène d’emprise est dû au fait qu’il n’est pas aisé de repérer le moment où s’effectue le basculement vers la violence.Même si elles ont parfois un sentiment d’injustice,
la confusion des victimes est telle qu’elles n’ont aucun moyen de réagir.
Les victimes disent souvent que ce qui fait naître l’angoisse, ce ne sont pas tant les agressions franches que les situations où elles ne sont pas sûres de pas être en partie responsables.
3) Le doute
Peu à peu, l’emprise installe chez la victime un sens de faute, une culpabilité pourtant injustifiée mais véritablement intégrée, intériorisée. On tend à prêter à l’agresseur des sentiments (culpabilité, tristesse, remords) dont il est complètement dépourvu. Dans l’impossibilité de comprendre, la victime se retrouve sidérée, déniant la réalité de ce qu’elle n’est pas en mesure de voir. Elle doute, elle s’aveugle. «Cela n’a pas pu se passer, cela n’existe pas !». Elle cherche des raisons à ce qui lui arrive : «Qu’est-ce que j’ai fait pour qu’on me traite comme ça ! Il doit bien y avoir une raison ?» Elle cherche une explication logique alors que le processus est autonome, il n’a rien à voir avec elle.
4) Le stress
Accepter cette soumission ne se fait qu’au prix d’une tension intérieure importante, permettant de ne pas mécontenter l’autre, de le calmer quand il est énervé, de s’efforcer de ne pas réagir. Face à une situation stressante, l’organisme réagit en se mettant en état d’alerte, avec production de substances hormonales, dépression du système immunitaire et modification des neurotransmetteurs cérébraux. La persistance de taux élevés d’hormones d’adaptation entraîne des troubles qui sont susceptibles de s’installer d’une façon chronique.
Les premiers signes du stress sont, suivant la susceptibilité de l’individu, des palpitations, des sensations d’oppression, d’essoufflement, de fatigue, des troubles du sommeil, de la nervosité, de l’irritabilité, des maux de tête, des troubles digestifs, des douleurs abdominales, ainsi que des manifestations psychiques comme l’anxiété.
Après une longue série d’échecs, les victimes se découragent et anticipent sur un nouvel échec. ce qui aggrave en elles le stress et la vanité des tentatives de défense. Cet état de stress chronique peut se traduire par l’émergence d’un trouble anxieux généralisé, avec un état d’appréhension et d’anticipation permanents, des ruminations anxieuses qu’il est difficile de maîtriser, un état de tension permanente et d’hypervigilance.
5) La peur
À un certain stade, la victime est sur le qui-vive en permanence, guettant le regard de l’autre ou une raideur des gestes, un ton glacial, pouvant masquer une agressivité non exprimée. Elles ont peur de ne pas être conformes à ce qu’il attend. Elles cherchent, en anticipant, à éviter les remarques blessantes, les sarcasmes, bref, la violence psychique… Pour y échapper, elles ont tendance à être de plus en plus gentilles, de plus en plus conciliantes. Elles ont l’illusion que cette haine pourrait se dissoudre dans l’amour et la bienveillance. Mal leur en prend, car plus on est généreux avec un pervers, plus on le déstabilise. En s’efforçant d’être bienveillant, on ne fait que lui montrer à quel point on est supérieur, ce qui, bien entendu réactive sa violence.
Quand la haine survient en retour chez l’agressé, les pervers se réjouissent. Cela les justifie : «Ce n’est pas moi qui le/la hait, c’est lui/elle qui me hait».
6) L’isolement
Pour affronter tout cela, les victimes se sentent seules.
Comment parler à l’extérieur ? La destruction souterraine est indicible. Comment décrire un regard chargé de haine, une violence qui n’apparaît que dans des sous-entendus ou des non-dits ?
Les victimes doutent de leurs propres perceptions, ne sont pas sûres de ne pas exagérer. Quand les agressions se produisent devant témoins, il arrive que les victimes, toujours protectrices de leur agresseur, jugent leurs réactions excessives et se trouvent dans la situation paradoxale de défendre celui qui les agresse afin de ne pas mettre de l’huile sur le feu.
7) La honte
Quand elles prennent conscience de la manipulation, les victimes se sentent flouées, comme quelqu’un qui vient de subir une escroquerie. On retrouve toujours le même sentiment d’avoir été trompé, abusé, de ne pas avoir été respecté. Elles découvrent un peu tard qu’elles sont victimes, qu’on s’est joué d’elles. Elles perdent l’estime d’elles-mêmes et leur dignité. Elles ont honte des réactions que cette manipulation a provoquées en elles : «J’aurais dû agir plus tôt !» «Pourquoi n’ai-je rien vu ?»
La honte vient de la prise de conscience de leur complaisance pathologique qui a permis la violence de l’autre.
CONCLUSION
Une personne victime ayant subi un tel traumatisme a besoin de temps pour se reconstruire. Pour cela, elle doit reconnaître que quelqu’un qu’elle aime (ou a aimé) dans son couple (ce qui rend la séparation plus difficile encore, mais tout aussi nécessaire), présente un trouble de la personnalité dangereux pour elle, et qu’elle doit s’en protéger. Elle doit comprendre «comment elle en est arrivée là» (et non pourquoi), c’est-à-dire les mécanismes relationnels qui l’ont piégés. La victime n’a ici pas de faille particulière, ni de trouble qui la rende fragile. C’est la relation qui est pathologique.
La multiplication actuelle des actes de perversité dans les familles et dans les entreprises est un indicateur de l’individualisme qui domine dans notre société et qui en constitue un terreau fertile.